Le régime fiscal de l’apport-cession, prévu à l’article 150-0 B ter du Code général des impôts, revient souvent dans les stratégies de cession d’entreprise pour optimiser sa fiscalité.
Le montage repose sur le principe suivant : apporter ses titres à une holding contrôlée que vous contrôlez, puis les céder, afin de bénéficier d’un report d’imposition sur la plus-value.
Plusieurs questions peuvent se poser : est-ce que ce schéma permet d’échapper définitivement à l’impôt ? Est-il obligatoire de réinvestir des fonds dans la holding ? Quelles sont les conditions pour que le report fonctionne ?
Dans cet article, on fait le point sur cette stratégie patrimoniale en répondant, clairement, à toutes les questions qu’elle soulève. Vous serez en mesure, à la fin de votre lecture, de déterminer si l’apport-cession est adapté à votre situation.
Qu’est-ce que l’apport-cession ?
Pour bien comprendre son fonctionnement, commençons par définir ce qu’on appelle une opération d’apport-cession.
Apporter ses titres à une holding pour différer l’impôt
Le mécanisme dit d’apport-cession permet à un dirigeant de différer la taxation (mise en report) d’une plus-value, lorsqu’il apporte ses titres à une société holding qu’il contrôle, avant de les céder.
Normalement, un apport de titres est considéré fiscalement comme une cession et donc générateur d’impôt. Mais l’article 150 0 B ter du CGI permet de placer en report d’imposition la plus-value constatée au moment de l’apport.
Attention toutefois, le report ne supprime pas l’impôt : il ne fait que le différer.
- Le taux appliqué sera celui en vigueur l’année de l’apport (12,8 % + prélèvements sociaux pour les apports post‑2018).
- La plus‑value redevient imposable si vous ne respectez pas les conditions de réinvestissement ou en cas de non respect d’autres conditions évoquées par la suite (liquidation de holding, rachat de vos titres de holding, etc.).
Après l’apport, la société holding, désormais détentrice des titres, pourra ensuite les vendre au repreneur, et percevoir le prix de vente sans générer de fiscalité immédiate. Ce report d’imposition reste valable sous réserve du respect de certaines conditions prévues par le législateur.
Les étapes de l’apport-cession
- Création de la holding (souvent une SAS à l’IS) contrôlée par le cédant.
- Apport des titres : la plus‑value latente est figée et mise en report.
- Cession par la holding des titres apportés : perception du prix sans imposition immédiate.
- Réinvestissement éventuel : au moins 60 % du produit de cession doit être réinvesti dans un délai de deux ans (sauf exceptions).
Exemple concret du schéma de l’apport-cession
Exemple :
• Monsieur Santos a créé en 1997 une société de conseil en informatique, sous forme de SASU à l’impôt sur les sociétés, avec un apport de 1 000 €.
• En 2025, cette société est valorisée 750 000 €.
• Un repreneur propose de racheter la société à ce prix.
Option 1 – S’il vend directement les titres
• Plus-value imposable : 750 000 € – 1 000 € = 749 000 €
• Taxation au PFU de 30 % : 749 000 € × 30 % = 224 700 € à payer.
Option 2 – Apport-cession
Pour éviter cette fiscalité immédiate, Monsieur Santos met en place le schéma suivant :
• Création d’une nouvelle SASU à l’IS qu’il contrôle à 100 % (la future holding).
• Apport de ses titres à la holding : la plus-value latente de 749 000 € est constatée mais placée en report.
• La holding devient propriétaire des titres.
Quelques semaines plus tard :
• la holding cède les titres de la société à l’acquéreur pour 750 000 €.
• La holding encaisse les 750 000 € en trésorerie.
À ce stade, aucune imposition n’est déclenchée : la plus-value réalisée par la holding est nulle, car le prix de cession est égal à la valeur d’apport.
La plus-value d’apport reste en report malgré la cession au repreneur. Toutefois, l’administration fiscale impose certaines conditions pour éviter un usage purement fiscal du dispositif.
Notamment : 60 % du produit de cession (ici 450 000 €) doit être réinvesti dans l’économie réelle dans un délai de deux ans.
À défaut, la plus-value de 749 000 € devient immédiatement imposable au taux en vigueur en moment de l’apport.
💡 Bon à savoir
Lors d’une opération d’apport-cession, il n’est pas obligatoire d’apporter la totalité de ses titres à la holding. Il est possible d’en apporter une partie, puis de les céder, et de vendre aussi ce qui n’a pas été apporté.
Cela permet de conserver une partie des liquidités en direct, quitte à être imposé, plutôt que de tout encapsuler dans la holding avec une obligation de réinvestissement.
Les conditions et la fiscalité du report d’imposition
Le régime de report d’imposition, qui s’applique dans certaines opérations d’apport de titres à une société, obéit à des conditions strictes et entraîne des conséquences fiscales spécifiques. Il est essentiel d’en comprendre les mécanismes pour anticiper les impacts fiscaux futurs.
Report d’imposition automatique en cas d’apport à une société contrôlée
Depuis le 14 novembre 2012, les apports de titres réalisés par un contribuable à une société soumise à l’impôt sur les sociétés, qu’il contrôle directement ou indirectement, ne bénéficient plus du sursis d’imposition, mais relèvent du régime de report d’imposition automatique prévu à l’article 150-0 B ter du CGI.
Ce régime s’applique aux apports réalisés :
- À des sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent ;
- En France, dans un État membre de l’Union européenne, ou dans un État ayant conclu avec la France une convention fiscale comportant une clause d’assistance administrative contre la fraude et l’évasion fiscales ;
- Par un apporteur contrôlant la société bénéficiaire de l’apport à la date de l’apport.
En l’absence de contrôle, c’est le sursis d’imposition qui s’applique, à distinguer du report d’imposition.
Comment apprécier le contrôle de la holding par l’apporteur ?
La condition de contrôle est déterminante pour bénéficier du report. Le Code général des impôts retient une acception large et précise de la notion de contrôle, fondée tant sur les droits sociaux que sur le pouvoir décisionnel effectif.
L’apporteur est considéré comme contrôlant la société bénéficiaire lorsqu’il :
- Détient directement ou indirectement, seul ou avec son groupe familial, la majorité des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux. Le groupe familial inclut le conjoint, les partenaires de Pacs, les ascendants, descendants, frères et sœurs des intéressés ;
- Dispose seul de la majorité des droits par l’effet d’un pacte d’actionnaires ou d’associés ;
- Exerce en fait le pouvoir de décision dans la société.
De plus, une présomption de contrôle existe lorsque l’apporteur détient au moins un tiers des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux, et qu’aucun autre associé ne détient une participation supérieure.
Enfin, plusieurs personnes agissant de concert sont considérées comme contrôlant conjointement une société lorsqu’elles en déterminent ensemble les décisions.
Calcul et régime fiscal de la plus-value en report
La plus-value d’apport est calculée et déclarée au moment de l’apport, mais son imposition est reportée à un événement ultérieur.
Elle est imposée selon :
- Les règles d’assiette et de taux applicables l’année de l’apport ;
- Les prélèvements sociaux en vigueur la même année.
En cas d’option pour le barème progressif de l’impôt sur le revenu par le contribuable, la plus-value pourra être réduite d’un abattement pour durée de détention, sous conditions.
Durée de détention | Taux de l’abattement |
---|---|
Moins de 2 ans | 0 % |
Au moins 2 ans et moins de 8 ans | 50 % |
Au moins 8 ans | 65 % |
Cet abattement s’apprécie :
- À la date de l’apport ;
- Au regard des titres apportés uniquement ;
- Sous réserve que les titres aient été acquis avant le 1er janvier 2018 ;
- Et que l’option pour le barème progressif ait été exercée l’année de l’apport.
Le décompte de la durée de détention est arrêté à la date de l’apport, et l’abattement ne s’applique qu’au solde net de la plus-value, après imputation des éventuelles moins-values.
En l’absence d’option pour le barème progressif, la plus-value est imposée au prélèvement forfaitaire unique de 30% : impôt sur le revenu à 12,8 %, auquel s’ajoutent les prélèvements sociaux de 17,2%
Si le barème progressif est choisi, le taux d’imposition effectif est calculé comme suit :
(Impôt sur le revenu simulé avec la plus-value mise en report + revenus imposable – Impôt sur le revenu sans la plus-value mise en report) / Montant de la plus-value en report
Ce taux spécifique permet une taxation proportionnelle, tenant compte des effets du barème progressif.
💡 Bon à savoir
L’option pour le barème progressif de l’impôt sur le revenu est globale : elle s’applique à l’ensemble des revenus du capital perçus dans l’année (plus-values, intérêts, dividendes…).
Avant de faire ce choix, il est essentiel d’anticiper votre niveau de revenus sur l’année. En effet, si votre taux marginal d’imposition (TMI) est élevé (ex. 41 % ou 45 %), vous risquez une imposition bien plus lourde qu’avec la flat tax de 30 % (PFU).
Les évenements mettant fin au report d’imposition
Le report prend fin lors de la survenance de certains événements clairement définis par la loi.
Il s’agit :
- De la cession, du rachat, du remboursement ou de l’annulation des titres reçus en rémunération de l’apport (autrement dit, les titres de la société holding constituée) ;
- De la cession, rachat, remboursement ou annulation des titres apportés par la société bénéficiaire dans les trois ans suivant l’apport, sauf si elle procède à un réinvestissement économique conforme aux conditions prévues (voir ci-dessous) ;
- Du transfert du domicile fiscal hors de France.
Le réinvestissement économique : une dérogation à la fin du report
Lorsqu’une holding cède les titres apportés dans les trois ans suivant l’apport, cela entraîne en principe la fin du report d’imposition.
Une exception est cependant prévue : si la société bénéficiaire s’engage à réinvestir au moins 60 % du produit de cession dans une activité économique éligible dans les deux ans de la cession, le report est maintenu.
- Le seuil de 60 % est apprécié net des frais et charges directement liés à la cession ;
- Le réinvestissement doit être effectué, sous certaines conditions, dans :
- Des actifs d’exploitation permanents affectés à une activité industrielle, commerciale, artisanale, libérale, agricole ou financière (à l’exclusion de la gestion patrimoniale propre) ;
- L’acquisition de titres donnant le contrôle effectif d’une ou plusieurs sociétés opérationnelles ;
- La souscription au capital initial ou à une augmentation de capital d’une société ;
- La souscription de parts ou actions de fonds de capital-investissement (FCPR, SCR, SLP, etc.) respectant des quotas d’investissement dans des sociétés opérationnelles. Le versement peut être différé, mais doit intervenir dans les 5 ans suivant l’engagement de souscription.
Les biens ou titres acquis doivent être conservés au moins 12 mois, sauf pour les parts de fonds, qui doivent l’être pendant 5 ans à compter de la souscription.
❌ Sont exclues du champ du remploi les activités de location meublée ou de gestion patrimoniale immobilière ou mobilière, même si assimilées à des activités commerciales sur le plan fiscal.
Purger la plus-value en report via la donation
Lorsque les titres reçus en échange de l’apport sont donnés, le régime fiscal dépend de la situation du donataire :
- Si le donataire (celui qui reçoit les titres) ne contrôle pas la société bénéficiaire de l’apport à l’issue de la donation, alors la plus-value en report est définitivement exonérée.
- En revanche, si le donataire contrôle la société :
- La plus-value reste en report à son nom, et devient imposable si les titres donnés sont cédés, apportés, remboursés ou annulés dans les 5 ans suivant la donation (ou 10 ans si les titres initialement apportés ont été cédés et réinvestis par la holding).
- Elle est également imposable si la société bénéficiaire cède les titres apportés dans les trois ans suivant l’apport du donateur, sauf réinvestissement économique. Ainsi, réaliser un apport de titres à une holding, donner les titres de la holding puis céder les titres apportés dans un délai de 3 ans ne vous permettrait pas d’échapper à l’obligation de réinvestissement.
- Enfin, la plus-value devient imposable si le donataire transfère son domicile fiscal hors de France avant la fin des délais de 5 ou 10 ans.
Schéma pour comprendre l’apport-cession
Ci-dessous, un schéma illustratif qui aidera à mieux comprendre les différentes situations rencontrées dans le cadre de l’apport-cession et les conséquences associées.

Avantages et inconvénients de l’apport-cession
L’apport-cession offre de nombreux avantages pour optimiser la cession de son entreprise, mais comporte également certains inconvénients qu’il convient de bien connaître avant de se lancer.
- Report immédiat de l’imposition sur la plus-value : L’apport de titres à une holding à l’IS contrôlée par l’apporteur permet de différer l’impôt sur la plus-value. La cession ultérieure des titres n’annule pas ce report si les conditions sont respectées.
- Outil de transmission patrimoniale optimisé : Permet de transmettre une holding familiale à ses enfants ou au conjoint via donation en pleine propriété ou démembrement, en préparant la succession et en évitant l’indivision.
- Diversification du patrimoine via la holding : Une fois les titres cédés, la holding peut réinvestir en diversifiant les fonds dans l’immobilier, les marchés financiers, le private equity, etc.
- Liberté d’emploi des fonds après 3 ans : Si la cession intervient plus de 3 ans après l’apport, aucun réinvestissement n’est exigé. Les fonds peuvent alors être utilisés librement.
- Accès au régime des titres de participation (IS réduit) : Si les titres apportés prennent de la valeur entre l’apport et la cession, et que la société les détient depuis au moins deux ans, la plus-value peut bénéficier du régime des titres de participation : seule une quote-part de 12 % est imposable à l’IS (soit un impôt effectif de 3 %).
- Sortie définitive du report par donation ou décès : En cas de donation à un proche ou au décès, le report d’imposition peut être définitivement effacé, ce qui constitue un levier puissant d’optimisation successorale.
- Coûts de mise en œuvre significatifs : La structuration nécessite des frais juridiques, fiscaux et d’évaluation (commissaire aux apports), ce qui la réserve à des opérations d’un certain montant pour amortir les coûts.
- Obligation de réinvestissement en cas de cession sous 3 ans : Si la holding vend les titres avant 3 ans, elle doit réinvestir 60 % du produit dans une activité économique, sinon le report tombe.
- Pas de distribution immédiate du produit de cession : Après la cession, les liquidités restent dans la holding, mais ne peuvent pas être distribuées immédiatement si celle-ci ne dégage pas de résultat comptable. En effet, la holding ayant acquis les titres à leur valeur d’apport, une cession à ce même prix ne génère aucune plus-value. Il n’y a donc pas de bénéfice distribuable, sauf à réaliser ultérieurement du résultat via les nouveaux investissements..
- Risque de remise en cause du report : Toute opération non conforme (rachat, annulation de titres, transfert de résidence fiscale, etc.) peut faire tomber le report. Le respect strict des règles est impératif.
Pourquoi faire un apport-cession ?
L’apport à une société holding peut répondre à deux situations distinctes : préparer une vente future ou vendre rapidement après l’apport, tout en optimisant la fiscalité.
Apporter ses titres sans vendre immédiatement
L’apport des titres à une holding permet de mettre en report l’imposition sur la plus-value latente, sans nécessairement les céder immédiatement.
Cela présente plusieurs avantages :
- Reporter l’imposition sans obligation de remploi des fonds. Une fois le délai de trois ans écoulé après l’apport, la holding peut céder les titres sans obligation de réinvestissement économique, ce qui offre une liberté totale d’utilisation des liquidités.
- Anticiper une vente future sans précipitation dans la structuration de la stratégie.
- Limiter l’impôt en cas de cession des titres apportés à la holding. En effet, si la valeur des titres augmente après l’apport, la plus-value constatée au moment de la vente pourra bénéficier du régime des titres de participation. Seule une fraction (12 %) de la plus-value est imposée à l’IS, ce qui ramène le taux effectif à environ 3 %.
- Commencer à organiser la transmission du patrimoine en donnant les titres d’une holding familiale.
En parallèle, le montage permet aussi de :
- Faire remonter les dividendes depuis la société d’exploitation vers la holding, dans un cadre fiscal avantageux (régime mère-fille : 5 % à réintégrer au résultat fiscal).
- Réduire progressivement la trésorerie dans la société d’exploitation, afin d’en optimiser la valorisation en cas de future vente.
- Transmettre la holding en démembrement (nue-propriété), en réduisant le coût fiscal de la donation si elle est anticipée.
Apporter puis vendre rapidement
Dans ce scénario, l’apport précède la cession de peu. L’objectif est de bénéficier du report d’imposition même en cas de vente imminente.
Avantages de cette stratégie :
- La holding revend les titres à leur valeur d’apport : pas de plus-value constatée dans la holding, donc pas d’impôt à ce stade.
- L’imposition sur la plus-value initiale reste en report sous réserve du respect de toutes les conditions.
En revanche, cette solution impose un cadre contraignant, notamment :
- Obligation de réinvestir 60 % du produit de cession dans une activité éligible en respectant un délai de deux ans.
Enfin, cela peut aussi être l’occasion de transmettre la holding à ses enfants, en nue-propriété, afin d’optimiser les droits de mutation tout en se réservant le droit de percevoir les dividendes via l’usufruit.
Ce qu’il faut retenir
L’apport-cession (art. 150-0 B ter du CGI) est un dispositif fiscal permettant de différer l’impôt sur la plus-value lors de la vente d’une entreprise.
- Comment ça marche ? Vous transférez vos titres à une holding que vous contrôlez (souvent une SAS à l’IS). La plus-value est calculée mais non taxée immédiatement (report d’imposition). La holding peut ensuite vendre les titres sans impôt direct, sous conditions.
- Conditions principales: Vous devez contrôler la holding (majorité des droits). Si les titres sont vendus dans les 3 ans, 60 % des fonds doivent être réinvestis dans une activité économique (ex. : sociétés, actifs d’exploitation) dans les 2 ans. Après 3 ans sans cession des titres apportés, cette obligation disparaît.
- Fiscalité : La plus-value est taxée plus tard (PFU 30 % ou barème progressif) si vous cédez les titres de la holding, quittez la France, ou ne respectez pas d’autre conditions prévues par le législateur. Une donation des titres peut parfois exonérer la plus-value.
- Objectifs atteints : Différer voire annuler l’impôt pour optimiser une vente, organiser une transmission patrimoniale (ex. : donation à vos enfants).
En résumé : l’apport-cession est une stratégie efficace pour gérer la fiscalité d’une cession d’entreprise, mais elle demande une planification rigoureuse. Un conseil professionnel est recommandé pour l’appliquer correctement.